Bryant Reeves : cet étrange franchise player qui a ouvert la porte des Grizzlies aux Gasol

Le 22 nov. 2015 à 12:31 par AlexB

La mode, ça va et ça vient. Certains la suivent et d’autres restent fidèles à leurs goûts d’antan. Et cela concerne tous les domaines, la musique, les vêtements…et le physique ! Alors qu’en ce moment en NBA on s’intéresse de plus en plus à des joueurs aux profils de couteaux suisses, grands, longilignes, avec des bras de quinze bornes de long, on dénote chez certaines franchises une propension à confier leurs clés à des joueurs du même type. Parmi elles, on retrouve les Memphis Grizzlies qui à l’image de Zach Randolph, Marc Gasol ou Nicki Minaj, les aiment avec des formes.

Et ce penchant remonte à l’époque où les Grizzlies n’étaient même pas encore à Memphis, MC Aznavour parlera d’un temps que les moins de vingts ans ne peuvent pas connaître. Car leur jeune histoire débute en 1995 à Vancouver où dans le cadre de l’expansion Draft, nous avons le bonheur d’assister à la naissance de deux franchises canadiennes, les Vancouver Grizzlies et les Toronto Raptors. Ces franchises toutes fraîches ne peuvent sélectionner un joueur du top 5 et après tirage au sort, ce sont les Grizzlies qui obtiendront le sixième choix de la Draft 1995, et les Raptors le septième. Ces derniers choisiront la souris atomique Damon Stoudamire qui aura roulé sa bosse sur les parquets NBA et ceux des palais de Justice pendant 13 ans. Alors que Vancouver jettera son dévolu sur Bryant Reeves, pivot de 2,13 mètres pour 132 kilos, qui contrairement à son homologue néo-canadien laissera bien moins de souvenirs de son passage dans la Grande Ligue.

En tant que nouveau marché, l’équipe coachée par Brian Winters doit se trouver une figure de proue en vue de s’attacher une fan base pour pouvoir prétendre à un avenir radieux. Les dirigeants des Grizzlies vont cependant devoir prendre en compte un facteur inédit : le public canadien n’y connaît pas grand chose en basket à cette époque, et s’en balance un peu de la NBA. Le contingent de joueurs qui arrivent en Colombie-Britannique dans le cadre de l’expansion Draft – une sorte de Draft parallèle au cours de laquelle les nouveaux arrivants sélectionnent des joueurs mis à disposition par les autre franchises qui souhaitent s’en débarrasser pour qu’ils apportent ensuite le meilleur aux petits nouveaux – n’a rien d’aguichant. Jugez plutôt : Greg Anthony, Rodney Dent, Antonio Harvey, Reggie Slater (qui n’est pas le frère de Kelly), Trevor Ruffin, Derrick Phelps (aucun lien), Larry Stewart, Kenny Gattison, Byron Scott, Gerald Wilkins (qui lui est bien le frère de Dominique), Benoit Benjamin, Doug Edwards (qui sera surnommé “Doughboy” au cours de son passage à Vancouver pour son jeu tout en dureté et son amour des doughnuts de chez Tim Horton) et  Blue Edwards. Le chantier ne s’annonce déjà pas évident à l’heure de choisir un joueur à l’occasion de la « vraie » Draft :

Nous avions pour objectif de construire à l’intérieur, nous manquions de taille – Stu Jackson, le GM des Grizzlies à l’époque qui est maintenant analyste télé pour la NBA.

Ils se tournent donc en toute logique vers le plus gros…nom de disponible. Après avoir vu Joe Smith, Antonio McDyess, Rasheed Wallace et Kevin Garnett aller serrer la pogne de David Stern, ce nom qui sent bon le Hall of Fame et l’astrophysique, c’est celui de Bryant Reeves. Originaire de Gans, un bled perdu de l’Oklahoma, et c’est Reeves qui en parle le mieux :

La ville avait trois bâtiments, une école, le bureau de poste et un magasin…oh pardon, il y avait aussi une caserne de pompiers volontaires. Et un panneau STOP. Il a été mis pour que les personnes qui traversent la ville soient obligés de s’arrêter et d’observer Gans avant de repartir.

Pas un troquet, pas une mobylette donc. Plus facile pour le jeune homme de se concentrer sur le basket. Et avec un gabarit comme le sien, associé à son talent brut, les coaches d’Indiana et d’Oklahoma State flairent le bon coup et vont jusqu’à faire le déplacement à Gans pour voir jouer ce beau bébé de 2,13 mètres et accessoirement aller jeter un œil au panneau STOP.

Il ne ressemblait en rien à un joueur de basket hormis sa taille, mais c’en était un pourtant. Il était grand, costaud et avait de très bonnes mains. C’est ce qui a fait de lui un basketteur. Il pouvait attraper n’importe quelle passe et avait un bon toucher au shoot. – Berry Tramel du Oklahoman.

Il restera près de chez lui en décidant de jouer pour Oklahoma State où il compilera 17,4 points et 8,5 rebonds lors de ses 4 ans passés à jouer pour les Cowboys. Il connaîtra même une pointe à 19.5 points à 62,1% et 10 rebonds par match lors de sa saison sophomore. Il sera élu à deux reprises meilleur joueur de sa Conférence (la Big 8) et emmènera son équipe jusqu’au Final Four en éliminant sur la route des joueurs comme Malik Rose, Antonio McDyess, Tim Duncan et Marcus Camby à qui il passera respectivement 21, 26, 15 et 24 points leur autorisant seulement 17, 22, 12 et 6 points avant de perdre face à UCLA en demi-finales. C’est donc avec ce statut de star universitaire que Bryant « Big Country » Reeves arrive en NBA pour se frotter  aux Shaq, Hakeem Olajuwon, David Robinson et consorts. Il relève le challenge avec les honneurs puisqu’il termine sa saison rookie avec 13,3 points et 7,4 rebonds. C’est bien la seule chose dont on peut se réjouir à Vancouver, où l’équipe démarre la saison par deux victoires d’affilée mais enchaînera 19 défaites dans la foulée. Il maintient l’espoir en battant ses voisins de Portland un soir de décembre avec un match « Andre Drummondesque » avec 25 points et 17 rebonds, mais les Grizzlies n’en finissent pas de se faire dompter et terminent la première saison de leur histoire par un odieux bilan de 15 victoires pour 67 défaites, record à l’époque. Les dirigeants le savent, ils doivent entourer leur big man. Ils drafteront de jeunes talents tels que Shareef Abdur-Rahim ou Mike Bibby. Mais bien que l’effectif prenne peu à peu forme, tout cela reste très jeune, Reeves ne peut pas porter l’équipe à lui tout seul à seulement 24 ans. Il faut faire venir de nouveaux talents en ville

La ville justement, malgré le fait qu’elle se situe dans le top 10 mondial en terme de qualité de vie et que le surnom de son franchise player évoque un burger de chez Mc Do, peu de monde s’y intéresse.

L’idée [de rejoindre Vancouver] rendait les gens mal à l’aise. Je pense que c’était une erreur de notre part car personne n’était jamais allé dans de telles villes, la vie y était géniale, mais c’était un terrain peu familier avec un gouvernement différent. – Craig Ehlo ancien Cavalier.

Drafté en 1999, Steve Francis ne veut tout simplement pas vivre à Vancouver et demande à être transféré, il sera envoyé à Houston dans un deal à 3 équipe au cours duquel les Oursons reçoivent Michael Dickerson, Antoine Carr, Brent Price and Othella Harrington et un premier tour de Draft des Rockets. La ville, problème pour le gotha de la NBA car trop peu connue, est également un problème pour notre pauvre Bryant qui vit mal le passage de sa ville natale de 300 habitants à une gigantesque métropole qui compte 4 millions d’âmes :

Ce n’était pas le genre de gars à aimer la ville, quelle qu’elle soit. Stillwater (ville d’environ 45000 habitants qui abrite l’univesité d’Oklahoma State – ndlr) était déjà trop grande pour lui .- Berry Tramer. 

Le « Big Country » pose tout de même des stats honnêtes, il continue de s’améliorer avec  16,3 points à 52,3%, 7,9 rebonds, 2,1 passes et 1,1 contre de moyenne lors de sa troisième année NBA au cours de laquelle il enregistrera 25 matchs à au moins 20 points et 10 rebonds. Mais le gars de Gans manque d’explosivité et ses qualités athlétiques ne suffisent pas à tenir la dragée haute aux monstres physiques qui peuplaient les raquettes à cette époque. Pourtant ses dirigeants lui font confiance et lui offrent un contrat de 61,8 millions de dollars (US pas canadiens, on y reviendra) et ont bon espoir de le voir continuer à progresser, Stu Jackson, son ancien GM le premier :

Il a connu certains moments où il jouait comme le joueur que nous pensions qu’il pourrait devenir. – Stu Jackson, visionnaire et amateur de conditionnel.

L’année 1998-1999 sera fatale pour la carrière du « Big Country » qui n’aura jamais aussi bien porté son nom, puisqu’il reviendra au Canada après le lock-out avec presque 20 kilos de trop, et on ne parle pas d’excédent bagages. A cause de son embonpoint, il doit maintenant lutter avec un mal de dos chronique, il ne jouera que 25 matchs et son pourcentage au tir dégringolera à une moyenne de 40,6%, pout voir sa franchise finir l’exercice écourté avec un bilan de 8-42. La fin est proche également pour les Vancouver Grizzlies qui, après cette saison perdent énormément de fans et se retrouvent avec une affluence de 13899 courageux (alors qu’ils étaient plus de 17000 pour leur première saison), le dollar canadien chute aussi considérablement, la franchise est ruinée. Les Grizzlies sont revendus deux fois en 1999 et 2000, lors de ces deux saisons les stats de Bryant Reeves sont faméliques (8,6 points, 5,6 rebonds de moyenne). Miné par ses problèmes de dos, “Country” Reeves prend sa retraite en 2001 et ne sera pas du voyage lorsque l’équipe déménagera pour Memphis.

A l’image de sa franchise, Bryant Reeves s’est retrouvé en quelque sorte au mauvais endroit au mauvais moment. Il faisait aussi partie de ces joueurs qui avaient la carrure pour s’imposer en NBA, avec un bon jeu au poste et ses bonnes mains et son talent en général et un physique hors du commun. Seulement, il n’avait rien qui le destinait à devenir un franchise player, les circonstances et sa position à la Draft en ont voulu autrement, mais il a toujours été considéré comme très discret par ses coéquipiers qui, même en déplacement, « ne le voyaient jamais vraiment » dixit Mike Bibby. Aujourd’hui encore, Bryant Reeves est bien loin de la NBA. Il vit en ermite dans un ranch de l’Oklahoma à un jet de pierre de sa ville natale duquel il ne sort que pour aller chasser et pêcher.

Bryant Reeves a été la premier visage et la première star des Grizzlies, statut qu’il aurait préféré ne pas avoir à porter. Il fait office d’exemple parfait dans la lignée de ces joueurs draftés trop hauts à qui on en demande trop, et trop vite ou à qui on veut coller une étiquette qui ne leur correspond pas. Dans l’histoire moderne de la NBA, on dispose d’exemples assez criants avec Anthony Bennett ou à Boris Diaw, et pas seulement parce qu’ils ont les hanches larges, ou même en la personne de Carmelo Anthony à qui l’on a confié le destin d’une franchise à lui tout seul et qui, lui aussi, a l’air de raffoler des beignets. 

Source image : ballerball.com