Retour sur la carrière de Grant Hill : le premier vrai cyborg développé sur l’aile avant LeBron

Le 05 oct. 2015 à 14:40 par David Carroz

Grant Hill
Source image : YouTube

1er juin 2013. Grant Hill prend sa retraite après 19 ans passés en NBA, laissant en suspens une question : et si jamais les blessures n’avaient pas limité sa carrière ?  Bien sûr, son bilan est au-dessus de la moyenne. Mais les promesses des débuts étaient bien supérieures. Retour sur ses plus belles années aux Pistons, avant que l’infirmerie le rattrape et nous prive d’un joueur d’exception.

Présenté comme le nouveau Michael Jordan

Été 1994. Après une saison à 20 victoires pour 62 défaites, les Pistons ne sont plus que l’ombre des doubles champions NBA en 1989 et 1990. Bill Laimbeer et Joe Dumars sont toujours là pour jouer les vieux grognards dans le Michigan, mais si l’apport de l’arrière est toujours conséquent, celui de l’intérieur de 36 ans se réduit et il prend sa retraite. Avec le troisième choix à la Draft, Detroit mise sur Grant Hill. L’ailier issu de Duke arrive avec un beau pedigree et une réputation flatteuse qui tranche avec l’image de ses prédécesseurs à Motor City. Finis les Bad Boys, place à “Mister Nice Guy”. Fils d’un ancien joueur des Dallas Cowboys en NFL et d’une amie d’université de la Première Dame de l’époque Hillary Clinton, le néo Piston se rapproche plus du gendre idéal que d’un loubard qui va envoyer des pains dans les raquettes NBA pour se faire respecter. Mais il a du talent plein les mains et après 4 ans en NCAA, il connait le goût de la victoire puisqu’il a remporté 2 titres aux côtés de Christian Laettner (1991 et 1992) et atteint une troisième fois la finale en 1994. 3ème pick, vainqueur du titre universitaire avec une équipe de Caroline du Nord, cela n’évoque rien ? Forcément, alors que la NBA vient de connaitre sa première saison sans Michael Jordan, Grant Hill va devoir assumer cette comparaison.

Et cela ne se passe pas trop mal pour sa première saison : sélectionné par les fans pour le All-Star Game, co-Rookie of the Year avec Jason Kidd, il permet aux Pistons de remporter 8 matches de plus. Pas une montagne, mais une progression notable. La saison suivante, Don Chaney laisse sa place à Doug Collins sur le banc. Le troisième coach de la carrière NBA de Michael Jordan prend en main un nouveau joyau, presque 10 ans après avoir eu le GOAT sous ses ordres. Detroit se reconstruit un effectif dur au mal, sublimé par Grant Hill qui fait tout ou presque sur le terrain. Comme avec MJ à l’époque, Collins n’hésite pas à utiliser à outrance sa star, lui offrant une quarantaine de minutes par rencontre, de quoi faire passer un Jimmy Butler usé par Tom Thibodeau pour une feignasse. Durant ses deux ans et demi à la tête des Pistons, l’entraineur ne sera jamais avare en compliment sur son franchise player qui est pour lui un joyau. Après avoir soutenu dans la seconde moitié des années 80 que Jordan serait le meilleur de l’histoire avant que “His Airness” soit reconnu comme tel, il encense de la même manière “Mister Nice Guy”, se demandant s’il pourra dépasser JoJo. Pour sa seconde saison dans la Grande Ligue, Grant Hill découvre les Playoffs. Un petit tour et puis s’en va, sweepé par le Magic au printemps 1996. Au cours de ses six années aux Pistons, jamais “G-Money” ne passera ce stade de la compétition. Difficile à encaisser pour un joueur habitué à la victoire lors de sa jeunesse, carrément écœurant pour lui lorsque la post season n’est même pas au rendez-vous, comme ce fût de nouveau le cas en 1997-98. Mais difficile de mettre ces différentes sorties de route sur le dos de Grant Hill, qui continue d’être au four et au moulin, envoyant du triple-double régulièrement. Le public ne s’y trompe pas et sa renommée est immense : en 1995, il est le premier rookie des quatre grande ligues sportives américaines à finir en tête des votes pour la sélection All-Star, surclassant de peu le Shaq. En 1996, alors que Michael Jordan est de retour, il doit à son tour se contenter de la place de dauphin de l’ailier des Pistons dans le cœur du public pour le match des étoiles ! Impensable. Si la tendance s’inversera par la suite, Grant Hill a marqué son territoire, avec classe et talent.

Mais après 6 années, il a soif de titres et les Pistons ne semblent pas en mesure de lui offrir la possibilité d’atteindre cet objectif collectif alors qu’individuellement, il est l’égal des plus grands. Lors de la free agency en 2000, il trouve un accord avec le Magic pour être associé avec Tracy McGrady et former un duo explosif. Si T-Mac n’est pas encore le scoreur d’exception qu’on verra par la suite, Grant Hill a quant à lui prouvé qu’il laisserait sa place dans l’histoire de la NBA en rejoignant de glorieux aînés comme Oscar Robertson, Jerry West, Larry Bird et Michael Jordan, ce le cercle des joueurs ayant dépassé 20 points, 5 passes et 5 rebonds de moyenne lors de leurs 6 premières saisons. Un groupe rejoint depuis par LeBron James.

Oublié comme précurseur de LeBron James

Un franchise player qui quitte son équipe au Nord des Etats-Unis pour aller faire les beaux jours d’une franchise floridienne et aller gagner un titre, ça nous évoque quelque chose… Loin de nous l’idée de comparer ou juger le parcours de Grant Hill et de LeBron James dans leurs choix d’agent libre, juste le constat d’une coïncidence qui fait sourire quand on regarde de plus près le profil des deux joueurs. En effet, si les deux auront dû vivre avec le rappel constant de la trace laissée par Michael Jordan, mettant en perspective chacun de leurs accomplissements, ils ont surtout un jeu bien plus similaire que proche de celui de MJ. Si l’ailier des Pistons a fini sur le podium des scoreurs en 2000 avant de quitter le Michigan (derrière O’Neal et Iverson), c’est surtout sa capacité à tout faire sur un parquet qui était sa force. Bien plus qu’un instinct de tueur et de machine à scorer. Dans un rôle de point forward, il aura mené le jeu des Pistons au point d’en être le meilleur passeur toutes les années, exceptée sa saison rookie. Un altruisme et une intelligence de jeu malheureusement pas suffisante, tant il a paru esseulé à Motor City. Certes, de bon role players l’ont épaulé, mais quel coéquipier a eu un niveau All-Star en évoluant aux côtés de Grant Hill à Détroit ? Allan Houston ? Ses deux sélections datent de sa période new-yorkaises et contrairement à ce que les Knicks ont cru, ses prestations n’étaient pas de celles qui méritent un contrat de franchise player. Joe Dumars ? Ses plus belles années étaient derrière lui quand l’ailier issu de Duke atteignait sa plénitude. Bison Dele ? Non, on déconne. Seul Jerry Stackhouse est allé au match des étoiles avec son leader. C’était en 2000, lors de la dernière saison de “G-Money” sous les couleurs des Pistons. Un peu léger pour prétendre remporter un titre ou même être un outsider. Trop juste pour retenir un Grant Hill ambitieux.

Car comme LeBron ensuite, il se démène. En 1997, il devient le seul joueur en dehors de Larry Bird à sortir plus de 20 points, 7 passes et 9 rebonds de moyenne sur une saison. Même le “Chosen One” n’a jamais présenté une telle ligne de stats à la fin d’un exercice. Impressionné par les 21,4 pions, 9 prises et 7,3 assists de son poulain (auxquels on peut ajouter 1,8 interception), Doug Collins sera dithyrambique :

Enlevez-le de l’équipe. Où serions nous aujourd’hui ? Michael Jordan est toujours le meilleur joueur, mais Grant est le plus méritant et celui qui a le plus de valeur pour son équipe. Je crois sincèrement qu’il est très proche d’être le meilleur joueur… Si Dieu le veut, s’il reste en bonne santé, ce n’est qu’une question de temps. – Doug Collins.

Malheureusement, Dieu n’aura pas voulu puisque quelques années plus tard, les ennuis physiques auront raison du talent de Grant Hill. Car contrairement à LeBron James, son arrivée en Floride ne sera pas synonyme de succès collectifs mais de longs séjours à l’infirmerie. Mais avant cela, il aura offert aux fans des Pistons mais aussi à tous ceux de la balle orange un aperçu d’une carrière d’exception. Alors bien sûr, l’ailier a su se reconstruire en partant aux Suns et s’offrir quelques saisons de bonne facture en Arizona, réinventant son jeu pour devenir un role player de luxe, excellent défenseur et shooteur à 3 points, le tout en restant un coéquipier modèle, mais peu-on se contenter de cela ? Ne sommes-nous pas en droit de demander des comptes aux dieux du basket de nous laisser sur notre faim après nous avoir fait saliver ? Certes, Grant Hill n’est pas le seul joueur dont la carrière a été freinée – voire stoppée – par les blessures. On pense bien entendu à son contemporain Penny Hardaway, ou plus récemment à Brandon Roy ou actuellement Derrick Rose. Mais aucun d’eux n’a su proposer un tel condensé de talent, de régularité et de charisme sur plus de deux ans, pour diverses raisons.

Parlerait-on de King James de la même façon si “Mister Nice Guy” avait pu passer outre ses blessures ? Possible, tant le cyborg marque sa génération. D’ailleurs, sa plus grande force n’est-elle pas de tenir le coup physiquement quand certains flanchent ? Mais on aurait aimé glisser un nom de plus dans un débat sans fin du meilleur joueur de l’histoire, en compagnie de MJ, LBJ et d’autres. Pas pour trouver une réponse, juste parce qu’on aurait pu profiter jusqu’au bout de Grant Hill et de son talent. Michael Jordan ou LeBron James ? Les deux, et rajoutez-moi une bonne dose de Grant Hill. Un gars en or, un joueur hors norme et une grande carrière malgré tous les coups durs.


Tags : Grant Hill