Les Cahiers du Streetball – En hiver, un playground ça réchauffe

Le 18 janv. 2015 à 16:40 par Nathan

Ah, janvier…
Le froid est déjà arrivé depuis assez longtemps ; mais maintenant il s’installe. Il amène avec lui la pluie, le stress, et les petits problèmes de merde, dont ce n’est pas un hasard s’ils poussent comme des champignons dans la vie des gens. Pour nous autres, basketteurs, une chose tend à s’effacer aux lueurs de l’hiver : le basket de rue
.

 Notre cher petit playgound pourtant, on l’a vu s’agiter tout l’été et au début de l’automne au rythme d’une foule quotidienne. Lieu de passage pour les uns, église pour les autres, il n’était jamais vide. On avait parfois l’impression, à force d’y aller, de vivre la même vie que les autres personnes qu’on s’attendait à coup sûr de retrouver sur le terrain. Le rythme s’y déroulait libre et insouciant. Notre terrain avait une ambiance particulière, âpre, lourde, et sèche.

Mais en hiver, tout change.

 Ce n’est pas simplement parce qu’il fait froid, qu’il pleut, ou que la nuit tombe à 18H.  C’est surtout les joueurs, l’ambiance, le jeu lui-même qui prennent à l’unisson une coloration particulière. Le quotidien, monotone, qui nous balance déjà assez dans la vie de tous les jours, s’invite au terrain en hiver. Au playground, on n’y vient plus seulement avec ses chaussures et son short : on débarque aussi avec ses problèmes. Finalement, ça devient un lieu comme les autres, où on cherche à s’y réchauffer, au sens propre comme au sens figuré.  Mais en amenant le quotidien au terrain, les joueurs cherchent par tous les moyens d’effacer sa présence. Ils prennent justement le basket comme un prétexte pour retrouver ce sentiment dont – au bureau, au boulot, à l’école – il est si facile d’oublier la saveur : celui de vivre, tout simplement.

 Le jogging remplace le short ; les bonnets, les sweats et les grosses chaussettes font leur apparition. Les joueurs eux-mêmes ont changé : car c’est un sentiment particulier que de se retrouver, entre têtes plus ou moins connues, après plusieurs jours où la pluie – le pire ennemi du baller – nous avait empêchés de jouer. C’est un peu comme une réunion de drogués : on arrive, et puis on veut jouer vite, car le temps nous est compté : dépêchons-nous de profiter au max de notre bonne vieille drogue. Il n’y a finalement rien de plus jouissif que de jouer au basket dehors, en hiver, quand il fait froid.

 C’est assez bizarre : j’adore ça. En jogging et en sweat, les mouvement des joueurs me paraissent plus élégants. Sur un playground en hiver, tout est teinté d’une espèce de rondeur, un peu comme dans ces pubs cosy style irlandais. Chaque personne parait plus épaisse, et ses qualités de basketteur ressortent avec plus d’acuité. Voir un bon dribbleur en jogging, c’est franchement un bonheur. Les mouvements, les appuis, les dribbles sont plus lourds, plus difficiles à réaliser.  L’ensemble me parait plus fluide, plus mature, comme si ce n’étaient plus que des grandes personnes qui jouaient– alors qu’on sait  tous qu’au contraire, chaque baller est un grand enfant.

 Les muscles, raidis par le froid, empêchent le jeu de s’accélérer à outrance. Une espèce de froide sérénité pèse sur l’ensemble : tout va bien, on est là, autour d’un terrain de basket, se réchauffant. J’ai d’ailleurs l’impression que le froid encourage le jeu collectif. Les mouvements rapides, explosifs, se font plus rares. L’individualité est bien obligée de se reposer sur le collectif ; le un-contre-un, quand il existe, est lui aussi teinté du mindgame. Au basket comme dans la société toute entière, le principe est le même : c’est ensemble qu’on combattra le froid, c’est l’entraide et l’échange qui permettront de résister aux rudes conditions.

 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ed/Street_basketball_Paris.jpgEn revoyant, après plusieurs mois, ceux qu’on avait auparavant côtoyés régulièrement, on peut parfois avoir une sorte de sentiment voluptueux ; une impression que je ne pourrais exprimer autrement qu’en disant « et voilà, ça recommence, comme avant ». Tout entier basketteurs pendant l’été, parfois même amis, les joueurs redeviennent  pourtant profs, étudiants, ouvriers, salariés, l’hiver arrivant. J’aperçois déjà ce que vont être les prochaines aprem playgound dans les temps qui viennent.  Je peux déjà prévoir le panel de sensations que j’éprouverais : le froid qui brûle les poumons, le nez insensible, les pommettes irritées à cause des contacts. Les flaques d’eau sur le terrain, qu’on doit évacuer tant bien que mal. Dans le froid, l’ambiance est généralement chaleureuse et agitée ; comme dans un pub, où on est content d’être là, non pas à boire une pinte, mais à mettre un ballon dans un panier.

 Car, passés les derniers jours de pluie, tout le monde est content de se retrouver. On se salut, on se demande comme était la rentrée. C’est toujours différent mais, au fond, ce n’est qu’une immense répétition. Le froid ne fait peur à personne, et la moitié de la jouissance à jouer en hiver vient justement de ce qu’un nouveau défi s’offre aux joueurs : le combattre, ce froid. Mais vite, vite : le ballon, le panier, le mouvement ; on se les gèle.

 C’est assez étrange, d’ailleurs, comment le froid peut échauffer les esprits plus que la chaleur elle-même. Entre deux matches, on n’a pas le temps de débattre pour savoir qui rentre sur le terrain ; pas le temps d’attendre ce satané mec qui n’arrête pas de shooter sur le panier alors que tout le monde est prêt à jouer. Pas le temps de débattre sur l’existence d’une faute ou non : bordel, il fait froid, et pendant que vous parlez, d’une on ne joue pas, et de deux, on se les gèle. Les esprits s’échauffent plus qu’en été : j’en ai fait l’expérience pas plus tard que la semaine dernière. Trop pressé de jouer, trop soucieux de gagner, des types ont commencé à péter un câble parce qu’ils croyaient qu’on avait oublié 2 points sur le score du match en cours. Lutte des classes, entre les prolétaires qui ne jouent pas – qu’ils perdent ou qu’ils se fassent sucrer leur tour – et la bourgeoisie, bien née pour jouer immédiatement ou assez forte pour détenir la marchandise et le capital : de bons joueurs, la victoire.

 Ah, dernière chose : en hiver, on peut faire un truc qui te fait passer pour un bolosse dans d’autres circonstances : se souffler dans le creux des mains pour les réchauffer. En été, ça envoie un message qu’il te faut assumer par la suite : “j’suis une arme de destruction massive avec mon shoot mec, du coup je prends soin de mon flingue – mes mains”. En hiver, c’est tout simplement : “j’ai les doigts gelés, laisse-moi être crédible au moins une fois, sans me prendre pour Carmelo Anthony”.

 Sauf qu’après, tu shootes, et tu te rends compte que de toute façon, il en faudra du travail pour shooter comme Mélo. Eh oui, en hiver, s’il y a bien un truc qui refroidit, c’est ton niveau. Raison de plus pour y aller se réchauffer.

Sources images : Wikipedia, Streetball.com et couverture TrashTalk par Amann.


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