Les Cahiers du Streetball – Laisse ton déguisement à la maison, s’il te plaît…

Le 23 nov. 2014 à 18:27 par Nathan

Ici, on parlera basket. Mais pas du bonbon sucré que la NBA nous offre. Plutôt de celui dont on ne parle pas assez mais qui est, sur pas mal d’aspects, à l’origine de celui dont on parle le plus. De manière sérieuse ou non, dans l’analyse ou dans l’anecdote, au lieu de prendre comme sujets les superstars des parquets NBA, on parlera de vous, de moi, de nous tous sur les parquets bitumés de nos playgrounds préférés.

Après un premier épisode un peu (trop ?) sérieux, on nous permettra, peut-être, de pousser un petit coup de gueule en se moquant d’un phénomène qui est, d’un côté, somme toute assez compréhensible, mais d’un autre côté, en même temps complètement bizarre : les mecs qui viennent blindés d’accessoires, mais qui connaissent le basket autant que mon arrière grand-mère – laquelle, paix à son âme, au moins savait s’habiller.

Histoire de coller au plus près de la réalité, imaginez-vous sur votre playground habituel. Vous y êtes ? bien, maintenant, un type avec l’accoutrement complet du basketteur débarque. Le mec a tout, mais genre vraiment tout : ensemble vintage Rockets floqué Olajuwon, chaussures à 200 boules, manchettes, bandeau et tout le tintouin. Il a même pris le protège-dents.  Au bout de quelques minutes, vous vous rendez compte, parce que ça crève les yeux, que ce type-là ne sait pas jouer au basket. Rien, nada, que dalle : il connait autant le basket qu’un député UMP. Alors on se moque doucement de lui, comme tout le monde. Mais puisqu’on est gentil, on va essayer de comprendre ce qui peut conduire un tel individu à se mettre dans une position aussi embarrassante. On va lui parler : notre interlocuteur imaginaire, appelons-le Ted, si vous le voulez bien. On va rapidement perdre notre calme – Ted est en effet un cas limite.

“- Salut Ted, c’est sympa aujourd’hui n’est-ce pas ? Oui, bon écoute-moi, je voudrais te dire une chose très simple – sans mépris, sans leçon de morale. Ton déguisement que tu portes là, tu le laisses dans ta chambre s’il te plaît, c’est pour ton bien. Ta manchette, ton protège dent, ton bandeau, ton ensemble Olajuwon vintage aux Rockets : ne les emmène pas au terrain.

 « Quoique, tout compte fait, prends les si tu veux : mais tu me feras des séries de shoots avant. Oui, parce que tu ne sais pas jouer. Non, arrête, tu ne sais pas jouer – en tout cas t’es bien moins balèze que n’importe quel type lambda qui vient en short noir et en t-shirt blanc. Si, tu l’es. La récurrence du phénomène est telle qu’on a presque affaire à une loi de la nature : si on croise un mec avec l’ensemble parfait, tout l’attirail sorti directement de la section “shopping” d’une revue de basket, et bien on peut être sûr, je pèse mes mots, qu’il sera loin d’être le meilleur sur le terrain.

“Donc, malheureusement Ted, tu fais partie de ce genre de personnes. Oui, mais ce n’est pas grave. Avant de mettre le maillot de Ray Allen (ou de qui que ce soit d’autre) pour le montrer à tout le monde, apprends à shooter. Non, pas comme ça, ne jette pas la balle. Ah, on ne t’a jamais appris à shooter, tiens je m’en doutais. Non, ce n’est pas grave, on est tous passés par là (pour certains, comme moi, on y est encore). Je vais te montrer en gros comment…non, avant, enlève ton maillot vintage de top-modèle s’il te plaît…non…oui j’insiste. Ah merci, voilà. Regarde l’autre gars qui fout la misère à tout le monde depuis deux heures, tu vois comment il est ? Oui, pas de chichi, pas de coquetterie, il est là et il joue au basket. Imagine-toi un peu : c’est comme si tu n’avais jamais fait de ski, mais pourtant tu te ramènes à ta première leçon avec la plus belle paire de skis et la combinaison qui pète tout. Le mono va se dire “oh, mais en voilà un jeune pousse qui a l’air d’avoir du potentiel, il  connaît déjà ce sport !”. C’est moche mais, malheureusement, c’est comme ça – être, c’est être perçu. Les autres petits enfants se disent à peu près la même chose. Et puis la catastrophe arrive quand tu montes sur les skis…non, plutôt, tu n’arrives même pas à monter dessus. Les autres enfants vont se moquer de toi ; peut-être pas le mono car il est gentil, mais il ne te donnera pas ta première étoile, tu comprends ? Ici, sur un playground, c’est pareil, mais en pire : il n’y a pas de mono, et les enfants non seulement savent jouer au basket, mais en plus ils jouent contre toi.

MR accessory 1 “Ah j’oubliais, la manchette, oui enlève-la aussi, s’il te plaît. Tiens, tu l’avais mise à l’envers, je comprends pourquoi tu avais du mal à shooter…vas-y, recommence pour voir ? Ah non, ce n’était pas à cause de la manchette, pardon. Bref, oui voilà, laisse là ici, elle est à sa place. Il faut que tu saches que le basket, c’est un vrai sport tu vois. Tu connais les superstars NBA ? Oui, elles sont stylées, je sais. Elles ont un certain style, c’est vrai, chacune est reconnaissable, oui c’est vrai, mais ce n’est pas ce qu…TAIS-TOI BORDEL ! Ce n’est pas ce que je voulais dire : les meilleurs joueurs NBA, avant d’être connus pour leur style, eh bien ce sont les meilleurs. Ceux qui jouent le mieux, un point c’est tout. En effet, même si ce qui pète le plus aux yeux, c’est le style des stars NBA, leur comportement et leurs apparences, il faut comprendre que ce n’est que la partie immergée de l’iceberg. Avant tout, ce sont des sportifs, tu comprends : ils travaillent beaucoup, ils font beaucoup d’efforts pour se permettre de se la jouer ghetto chic. Le basket, c’est un sport : et ce n’est pas parce que t’aime le tennis que tu vas te laisser pousser les cheveux jusqu’aux oreilles et parler comme Roger Federer, si ? Voilà, c’est pareil. Alors explique-moi, je te prie, pourquoi nom de Dieu, tu dépenses des fortunes en accoutrement, pour venir sur un terrain de basket et faire comme si tu savais jouer – alors, et c’est un fait incontestable, que tu ne sais pas jouer ? Explique-moi rapidement, s’il te plaît. Tu inspires autant de respect qu’un candidat de télé-réalité qui pense devenir un artiste. Tu es aussi crédible qu’Eric Zemmour qui se prend pour un intellectuel. Tu es le Jean-Claude Van Damme de la philosophie. Pardon, mais c’est la vérité.

“Mais comprends-nous Ted, on n’est pas méchants : c’est l’écart entre l’apparence et la réalité qui est risible. Prenons un exemple : tu as bien un loisir où tu te débrouilles bien ? La guitare ? Parfait, moi je ne sais pas jouer de la guitare. Voilà, c’est un peu comme si je me ramenais à une session de ton groupe avec une Gibson Les Paul modèle limité hyper belle, des pédales d’effet pour spécialiste, des lunettes de soleil, une chemise ouverte, une cigarette et une groupie. Au premières notes dégueulasses que je lâcherais avec mes gros doigts engourdis, tu te foutras de ma gueule avec tes potes, et tu auras bien raison. Et tout ça pour quoi ? Uniquement parce que j’avais pensé “ah c’est comme ça que sont les guitaristes, ils sont trop cools, j’ai juste à me conformer à une norme pour être guitariste”. Je ferai erreur sur toute la ligne, tu le sais très bien : la musique c’est bien autre chose qu’un style. Ça s’apprend, et toi ça te parait important ; ça te permet de trouver de la beauté, d’en créer même. La musique dépasse les musiciens, il faut la maîtriser et connaître ses lois pour qu’elle ait un intérêt.  Les grands guitaristes sont des grands artistes, n’est-ce pas ? Eh bien voilà, si tu te fous de ma gueule, moi le gars qui ne sait pas jouer mais qui fait comme s’il le savait, c’est qu’en un sens je te manque de respect. Oui, je te manque de respect. Je ne respecte pas ta croyance en l’importance de la musique, au fait qu’elle est une belle chose, envers laquelle il faut être patient et sérieux. Je fais comme si, au fond, la musique c’était un passe-temps infantile, comme si c’était facile d’être guitariste tiens. Je fais comme si la musique n’avait pas d’intérêt en elle-même, mais seulement comme “style”.

 « Eh bien, pour revenir à ton cas,  c’est pareil. Aux premiers shoots envoyés par tes grosses mains carrées, on se fout de ta gueule. A tes premiers déplacements sur le terrain, on s’arrête et on te demande d’enlever ton maillot, ta manchette et ton protège-dents, afin que tu arrêtes de nous prendre pour des cons. Heureusement que tu n’es pas venu avec ta copine, parce qu’on t’aurais vraiment chambré, d’ailleurs. Bref  : c’est normal, tu fais comme si le basket, c’était quelque chose d’un peu fantasque, où personne n’y croit vraiment car chacun jouerait un rôle. Il suffirait de mettre un maillot et des chaussures pour être un joueur : et puis on aurait juste à avoir le look d’une star pour en être une. Et bien non, vois-tu, la plupart ne se prennent pas pour des stars, Ted : ils jouent au basket, point. Le basket, pour nous aussi, c’est un art. Alors arrête de réduire le basket aux maillots, aux grosses chaussures, au rap ou aux expressions anglaises de lascars. Arrête de réduire le basket à un pur jeu de théâtre, où ce qui compte, c’est de se montrer. Arrête de te foutre de nos gueules et de nous prendre pour des enfants qui jouent au gendarme et au voleur. Arrête de te moquer du basket, s’il te plait. Je me suis bien fait comprendre ? Bien, merci de m’avoir écouté, c’était tout ce que je voulais te dire. Au revoir, Ted.”

On aurait voulu finir par : “Et puis merde, va-t’en, on ne veut pas de toi ici”. Mais on ne le fera pas : ça ne serait pas gentil, et puis il a sans doute compris le message. C’est un type gentil, Ted : c’est juste le cas limite des gens qui pensent que mettre la totale sur les accessoires vous fera passer pour un basketteur. Alors, avis aux amateurs de basket de rue : pitié, pour éviter de vous mettre dans la position de Ted, soyez simples. Merci, et bisous.

Sources images : youtube

 


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