Dixième anniversaire du “Malice at the Palace” : quand la schizophrénie de Ron Artest plongea la NBA dans la terreur

Le 19 nov. 2014 à 21:00 par Leo

Malice at The Palace of Auburn Ron Artest 29 juin 2020

19 novembre 2004. Les Indiana Pacers de Rick Carlisle (6-2) se rendent au Palace d’Auburn Hills de Détroit pour y affronter des Pistons (4-3) tout juste auréolés de leur premier titre de champions depuis l’ère dorée des “Bad Boys”. Diffusé sur antenne nationale et cultivant les pulsions antagonistes de leurs fans respectifs, ce face à face au climat électrique respire une odeur de souffre propre aux dernières Finales de la Conférence Est, remportées 4 à 2 par les locaux. Au terme d’une âpre guerre des tranchées, les visiteurs ne sont qu’à une poignée de secondes de repartir de l’arène avec une belle victoire sous le bras. Quand soudain…

Quand soudain, Ron Artest, n’ayant pas honte d’utiliser son prénom à l’époque, perd tout sens commun et entre dans une rage incontrôlable que personne ne saurait apaiser. Pourtant auteur d’un très bon match avec 24 points inscrits dont 17 dans le premier quart-temps, le “Tyler Durden” d’Indianapolis franchit de manière outrageuse la ligne rouge en personnifiant le sombre visage de la violence écervelée qui sommeille à cet instant en NBA. Si elle se terrait malicieusement jusqu’alors, le malaise d’Artest n’a fait que la révéler au grand jour, traumatisant l’ensemble de la communauté mondiale ce soir-là, métamorphosée en une spectatrice gênée par un spectacle horrifiant qui a bafoué les valeurs prônées par le sport en tant que concept de partage.

Tout est parti de manière assez anodine et stupide, comme souvent dans ces situations-là. Ben Wallace se prend en traître une mandale de…Ron Artest par derrière et les esprits s’échauffent quelque peu. Le jeu s’arrête momentanément alors que les deux parties se rentrent dans le lard, sans gravité pour le moment. Coupable du coup bas proféré, Artest s’écarte de la zone de tensions où “Big Ben” lui promet toujours de l’encastrer dans le mur et choisit de se poster près des journalistes dans l’attente du verdict des arbitres sur l’action qui l’incrimine avec son ennemi intime à l’afro singulière. Tout le monde pense à cet instant précis que ce barfight habituel, ce brouillard intempestif ne durera pas et qu’aucune raison valable ne pousse à l’inquiétude. Or, alors qu’il est sagement affalé sur la table de marque, le trublion n’en demandait pas tant avant de péter tous les fusibles qui composent son cerveau.

Provenant des gradins, un verre de soda lui arrive subitement dans la tronche ; son sang n’a fait qu’un tour… Aussitôt, “Ron Ron” se rue vers John Green, le fan en question à l’idée lumineuse, avec la ferme intention de lui ravaler la façade, façon “Queensbridge style”. Dans la foulée, le feu se propage à vitesse grand V aux quatre coins de la salle qui s’embrase littéralement. Au rythme des droites et autres uppercuts qui se décochent dans les travées, de multiples détritus et crachas volumineux viennent fleurir le parquet d’un Palace sens dessus dessous où le service de sécurité se voit submergé dans la panique générale, perdant le contrôle total des opérations. La folie gagne même les coéquipiers d’Artest dont Stephen Jackson et Jermaine O’Neal qui, après avoir tiré courageusement leur épingle du jeu sur le “vrai” champ de bataille, servent de complices infâmes à la furie sotte de leur frère d’arme. A la suite de plusieurs minutes dépeignant un chaos abyssal, Artest, le jersey déchiré et le regard encore baigné de sang, est enfin évacué de l’antre toujours en proie aux flammes malgré les velléités insistantes de la police de Détroit à vouloir l’embarquer coûte que coûte au commissariat le plus proche pour coups et blessures aggravés.

Le lendemain, à l’occasion d’une conférence de presse organisée dans l’urgence, David Stern applique des sanctions exemplaires avec pour mission d’atténuer la brûlante ampleur d’un scandale sans précédent dans l’histoire de la Grande Ligue : suppression imminente de salaire et jeu pour Ron Artest jusqu’à la fin de la saison en cours, 30 matches de suspension pour Jackson, 15 pour la Jermaine et 6 pour Wallace. Véritable coup de théâtre en NBA !

“Je pense que beaucoup d’entre nous ont pris des décisions égoïstes ce jour-là. J’ai fait une erreur en voulant rentrer dans la bagarre et en me mesurant à Lindsey Hunter et Richard Hamilton. Ron (Artest) a commis la sienne en allant se battre dans le public. On a tous fait des erreurs mais on voulait se protéger les uns les autres. Il est difficile de dire si c’était bien ou mal.” – Stephen Jackson, dans toute sa splendeur.

“J’ai cru que je me battais pour ma propre vie,” affirme Rick Carlisle, coach impuissant des Pacers cette nuit-là qui n’a pas fait de vieux os au sein de la franchise, conspuée par les critiques, suite à cette rixe mémorable.

Dix ans se sont écoulés depuis mais cet événement tragique ne pourrait se noyer dans l’oubli. Servant de mémo à la construction identitaire de la décennie suivante, cet incident, baptisé non sans cynisme “The Malice at the Palace”, a notamment permis de réviser les mesures préventives de la Ligue, destinées à anticiper au maximum les altercations entre les joueurs et éviter, à l’avenir, tout débordement de foule sur et même en dehors du terrain. Si les adorateurs du jeu rugueux des années 90 se plaignent massivement des nouvelles répressions mises en vigueur qui visent aujourd’hui à adoucir et dénaturaliser l’intensité déployée sur le terrain, cet épisode en est certainement l’une des causes fondatrices. Toujours enveloppé d’un fort parfum de honte, jamais l’intégrité des supporters assistants à un match n’avait été autant mise en danger et décriée qu’au cours de cette soirée houleuse du 19 novembre 2004…!

Source texte : Grantland


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