Starification brutale, gloire éphémère : que deviennent les héros de ‘Hoopmixtape’ et ‘Ballislife’ ?

Le 19 oct. 2014 à 18:57 par Leo

La saison NBA tout juste bouclée, notre soif insatiable pour le basket nous tient perpétuellement en haleine, constamment à l’affût de la moindre dose d’adrénaline que l’on pourrait se procurer sur le Net : un cross sanglant, un poster bien sale, un alley-oop titanesque placé en contre-attaque… Or, de manière quasi instantanée, notre vœu se voit exaucé en gravitant d’une page spécialisée à une autre. “Basketball never stops”, le slogan est d’une foudroyante justesse !

Alors que l’on intensifie nos recherches pour se mettre au parfum des dernières perles rares qui font le buzz, on devient très vite friand de ces mini-clips chevaleresques, souvent accompagnés par une musique aux intonations impérieuses, qui pullulent au fil de notre exploration. Fond de commerce des sites influents dans ce domaine tels que Hoopmixtape ou Ballislife, un joueur y est d’ordinaire porté en triomphe, terrassant chacun de ses adversaires avec classe et sans aucune pitié. La magie opère et les émotions sont bien palpables : le spectateur est alors captivé par les exploits de ce héros sublimé au possible, si bien qu’il est rapidement convaincu d’être tombé sur la future étoile montante de demain. Cependant, au revers de cette médaille que l’on attribuerait sans concession au personnage principal de ce court-métrage saisissant, on s’aperçoit que la réalité est tout autre, bien plus sombre et sinueuse qu’on ne le croit pour l’intéressé. Quant à sa projection dans l’avenir et ses chances de briller au plus haut niveau…

Parlons-en justement, à cœur serré.

Depuis la prolifération massive des réseaux sociaux à l’épicentre de notre quotidien, chacun peut ressentir le besoin de partager ses créations à son entourage (et au-delà) et n’exprime alors plus aucune pudeur dans sa théâtralisation aux autres. Ayant compris le filon, beaucoup se paient même le luxe de vivre de leurs facéties. Pour les autres, certains blogs bien définis leur servent de mécènes, presque à leur insu. A la manière de révélateurs de génies cachés, sensibles à la capture de la plus minuscule larme de divertissement qui aurait un intérêt basketballistique de près ou de loin, les grands pontes en la matière, Hoopmixtape et Ballislife notamment, exposent et amplifient les prouesses compilées avec soin par de jeunes adeptes de la balle orange aux quatre coins des États-Unis. Talentueux et insouciants pour la plupart, beaucoup ne se rendront compte que tardivement que ce condensé concis d’un des fragments de leur existence, mis à nu devant une planète subjuguée par tant de splendeur et de mensonges refoulés, allait changer radicalement le cours de leur vie et dépasserait autant les plus folles de leurs attentes…

30 ans auparavant, les stars en puissance construisaient leur réputation consciencieusement, dominant année après année leurs congénères depuis le collège avant de s’imposer, comme faisant partie d’une relève brillante et dorée, au lycée puis dans le championnat universitaire. Dans le courant des années 80, Benji Wilson et Len Bias (respectivement à gauche et à droite de la photo ci-dessous) ont illuminé l’univers basket par leurs performances sur le terrain avant de, lentement mais surement, être considérés comme des miracles de la nature auxquels on prédestinait, à l’âge de raison et aux abords d’une explosion au plus haut niveau espérée, un futur radieux, dessiné à l’image de leurs qualités. Or, le premier sauvagement assassiné dans les rues de Chicago en 1984 et le second mort d’une overdose à la coke avant de pouvoir rejoindre les Boston Celtics en 1986, tous deux n’auront jamais eu cette chance d’éclabousser le monde entier de leur classe caractéristique, une profonde teneur d’inachevé habillant toujours l’évocation émue de leurs noms, immortels et indélébiles.

Benji Wilson et Len Bias, deux fantastiques étoiles fauchées par le destin...

Benji Wilson et Len Bias, deux fantastiques étoiles fauchées par le destin…

De nos jours, moins de 5 minutes scrupuleusement mixées suffisent à vous faire passer de parfait inconnu à magicien fantasque de la gonfle orangée que tout le monde s’arrache. Phénomène devenant viral dans la seconde, le fan partage ses émotions d’un bout à l’autre du globe si bien que le joueur, très jeune et inconscient des retombées que ses exploits vont provoquer, se voit d’ores et déjà pendu à ses lèvres. Ainsi, ce héros malgré lui est instantanément propulsé dans un conte de fée, une réécriture tumultueuse d’un “Alice au Pays des Merveilles” à deux faces, à la fois chatoyant et ténébreux, magnifique en apparence mais ô combien tragique pour ce-dernier du fait qu’il n’aura plus jamais aucun contrôle de sa perception exaltée, de son image reflétée aux yeux des fans. En d’autres termes, ce clip en son honneur, passeport empoisonné de sa carrière en construction, apparaît comme étant aussi bien une énorme opportunité pour lui de se faire connaître à un plus large public qu’une malédiction corrosive lancée sur sa personne.

Eléments d’explication autour d’un florilège marquant de fameux contributeurs, sensations de ces cassettes vendeuses de rêves…

Drafté en première position en 2014, Andrew Wiggins incarne sans aucun doute le futur de notre Grande Ligue, ultra-athlétique, extrêmement mobile et pourvu de qualités exceptionnelles pour son jeune âge. Malgré cet éloge assez modeste de la pépite canadienne, il ne faudrait oublier de rappeler que le talent du gonze est scruté à la loupe depuis un bon moment, même plus que de raison. Quoi de plus normal pour un joueur de ce calibre nous direz-vous ?! En revanche, ne peut-on pas parler de surenchère, d’exagération forcée de ses capacités depuis la diffusion de sa mixtape dantesque sur la Toile, il y a deux ans tout juste ? L’avenir est droit devant, tout reste à prouver pour “Wiggo” mais le souvenir de ses massacres perpétrés au lycée risque de fausser la vision fantasmagorique que les fans de la première heure se sont constituée à son propos. Quoiqu’il fasse, le niveau d’exigence demeurera constamment surélevé, chose qui forcerait l’enfant de Toronto, sans échappatoire possible et semblable à l’utilisation outrancière du mode “repeat” d’une vidéo plaisante, à reproduire de façon infinie le même spectacle ahurissant et sans égal en matière de domination aux confins de la NBA, cette fois-ci. En un mot, que d’attentes à combler, que d’épreuves complexes à surmonter alors qu’il n’a toujours pas eu l’occasion de poser un pied dans le monde professionnel… Espérons simplement que les observateurs les plus pointilleux ne lui demandent pas l’impossible en voulant par tous les moyens que son aura divine, structurée par ses actions magistrales antérieures, ne prenne le pas sur son aspect humain qui le poussera de façon inaltérable à commettre des erreurs et à se montrer vulnérable par séquences.

Au regard de ce mix, certains doivent vraiment penser que le mec dominera tout le temps comme ça…

Preuve affirmée de cette hypothèse : Austin Rivers. Progéniture célèbre du coach des Los Angles Clippers (à savoir le “Doc”), il a également tiré profit d’une notoriété subite depuis le lycée. Chirurgical ballon en main, détenteur d’un shoot efficace après une rafale de dribbles fulgurants, le gamin en a persuadé plus d’un qu’il personnifiait le renouveau de toute une génération au poste d’arrière. Les comparaisons fleurissent, un passage par Duke est plus qu’inévitable et la Grande Ligue lui ouvre logiquement ses portes. Choisi en dixième position par les New Orleans Pelicans en 2012, Rivers se mange pourtant un mur de plein fouet dès son entrée en grande pompe dans l’élite. Redescendant du nuage où tout lui semblait acquis, les critiques les plus vives portées à son encontre fusent et le natif de Santa Monica est en proie au doute, tombant de haut alors que le ciel s’assombrit dangereusement. Aurait-il été surestimé à tort ? Au vu de son incidence sur le jeu de sa franchise d’accueil (7 points à seulement 39 % au tir, 2,2 offrandes et 1,8 rebond par match en deux ans), on peut le croire à présent, bien que l’accusé n’avait surement pas émis le souhait qu’on le regarde d’aussi haut. S’il est aujourd’hui à deux doigts d’être traqué par la justice pour népotisme et falsification de la vérité sur ses aptitudes à briller, il est sujet à de nombreuses moqueries et pointages du doigt déplaisants. Les ailes carbonisées par les reproches et acculé par le poids de faux espoirs gâchés, Austin Rivers tente de remonter la pente progressivement, à l’abri de la lumière aveuglante de la notoriété, elle qui l’avait pourtant mis sur un piédestal il n’y a pas si longtemps.

Une belle ironie du sort en mouvement…

Dans d’autres cas à l’inverse, la hype hyperbolique, la gloire glanée par le joueur en question ne lui permet pas d’arriver en haut de l’affiche et de concrétiser son rêve de gosse dans la foulée. Au contraire, celle-ci lui trace une route encore plus ardue au lieu de lui rendre véritablement service, après réflexion. Tel est le combat quotidien mené par Kiwi Gardner afin de se faire un nom au plus haut niveau. Meilleur scoreur des Santa Cruz Warriors en D-League, filiale de Golden State, l’ “inarrêtable” meneur californien de 21 ans a été finalement récompensé de ses efforts acharnés pendant la trêve estivale de 2014 au cours de laquelle, les larmes aux yeux en tombant dans les bras d’un des membres du staff de la franchise, on lui a fait savoir qu’il avait été sélectionné pour participer à la Summer League avec l’équipe reine (cliquer ici pour accéder à la vidéo). Une part de son rêve devenue réalité, sans que “LE rêve entier ne soit exaucé”, Gardner fait son apparition dans le grand bain sous les ordres de Steve Kerr, reconnu et applaudi par une foule de Las Vegas qui l’encourage davantage que certains éléments moins admirés, ayant néanmoins réussi à valider leur place dans l’effectif californien. Acceptant le verdict final et fier d’avoir eu la chance de bénéficier de cette opportunité, il n’abdique pas pour autant et souhaite persévérer en continuant à s’améliorer dans la Ligue de Développement. En parallèle de cette popularité contrastée, Kiwi enchaîne les voyages promotionnels à l’étranger, n’hésitant pas à signer des contrats vestimentaires avec plusieurs équipementiers qui trouvent en lui un pouvoir attractif auprès des amateurs de basket, très vendeur et hautement commercialisable. Autrement dit, sans une féroce envie d’y arriver, beaucoup de ces saltimbanques au visage charmeur, de ces sources d’inspiration pour les masses glissent dans un oubli abyssal s’ils manquent de confiance en eux et d’espoir de pouvoir un jour se nourrir du respect infaillible de leurs pairs à officiellement transformer leur passion communicative en ce qui anime singulièrement le but originel de leur existence.

“No pain, no gain” ! Quand la célébrité ne subvient pas à tous les désirs…

Pire encore : la négation de toute chance de parvenir au sommet, tant la première impression des qualités du joueur dépasse l’entendement et les attentes placées en lui. Pour illustrer cet exemple, la trajectoire descendante d’Aquille Carr semble, en l’occurrence, plus que pertinente. Auteur d’une des plus grandes audiences recueillies sur la Toile, basketteur lilliputien préféré des internautes et plus, Carr porte sur son dos toute la ville de Baltimore à chacune de ses interventions savoureusement décortiquées à l’écran. Au-delà de son statut de pratiquant chevronné de son sport, la légende raconte que le taux de criminalité baisse de 40 % à chaque fois qu’il enfile ses sneakers dans la région, d’où son surnom taillé au millimètre de “Crime Stopper”. Un prestige de façade qui se change vite, à mesure que sa reconnaissance ne cesse de croître, en fardeau incommensurable qu’une poignée de mortels aurait la capacité et le courage de supporter, voire d’élever au sommet de la montagne du succès. En effet, au cœur de son périple journalier, Carr ressent que le spectre de la NBA s’éloigne un peu plus encore, les experts de cette institution ne souhaitant prendre aucun risque préjudiciable en lui accordant sa chance, pratique pourtant fondatrice du Pays de l’Oncle Sam… Par ailleurs, sa petite taille (1m68), associée au reflet magnanime de ses prestations accessibles par tous, a l’air de ne jamais pouvoir lui permettre d’atteindre ce jardin défendu, comme s’il était condamné à rester prisonnier de sa propre image rêveuse, sans espoir de goûter au mérite terrestre qui lui est réellement dû. Paradoxalement adoubé par la presse, ce frivole diablotin des gymnases choisit l’exode en attendant son heure qui ne viendra probablement pas. Vilipendé de pays en pays tel une bête immonde que tout le monde s’empresse de contempler, des tournées en Chine et en Europe puis une signature récente dans la Ligue Canadienne de Basketball (CBL) pour un an comblent momentanément les pulsions de grandeur d’une des victimes notables de l’effet Hoopmixtape et Ballislife de notre temps.

Une promesse insoluble dans le futur, une de plus…

En définitive, on peut clamer haut et fort que ces sites prétendus “révélateurs de talents” comme Hoopmixtape et Ballislife portent davantage préjudice à leurs héros qu’ils ne les épaulent dans leur quête de reconnaissance, perdus dans une ère maussade où la valorisation est passible de lynchage et sous-couverte d’un violent sentiment de honte. Affirmant qu’ils ne font que rendre visibles les performances de leurs cibles, soumises à la libre interprétation subjective de chacun, ceux-ci forcent le trait et orientent de manière brutale notre opinion sur ce qui est montré. Combien de “INSANE HANDLES” tapés volontairement en majuscules ou de “Andrew Wiggins MURDERS a defender with a KILLER combo, crossover + poster dunk !” sont cycliquement employés dans les descriptions des vidéos pour décupler notre admiration la plus mesurée devant un medley instrumentalisé, famélique du joueur mis en exergue ? Car si l’on éclipse cette création d’un monde merveilleux pour le joueur qui sera implanté dans la conscience du spectateur, le héros de cet engrenage illusoire du succès saute à pieds liés dans une carrière semée d’embûches et de faux semblants qui se résumera à une course effrénée derrière une ombre, la sienne, teintée d’artifices horrifiants qui ne se calquera certainement jamais sur la réalité impitoyable du plus haut niveau. Tout cela est bien amer mais cruellement bien réel…

————————————————————MISE EN PRATIQUE——————————————————————–

En outre, ce papier ne pouvait se terminer que par une mise en application de notre jugement sur un “diamant brut” de demain qui fait la une de ces temples du paraître, destinés à stimuler la perception de jeunes talentueux, avides de réussir. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, voici Seventh Woods, catalogué comme le meilleur espoir du pays pour son âge (“INCROYABLE athlète” au passage…) ! A 16 ans maintenant et près de 12 millions de vues après la publication de sa mixtape sur YouTube, toutes les facs du pays le veulent dans leurs rangs, lui promettant d’emblée monts et merveilles en NBA d’ici peu. A votre avis, quel avenir lui prédestineriez-vous et quelle suite donner à sa carrière ?

Alors, plutôt “Hoopmistake” ou “Ballisnothislife” ?!

Source image : Hoopmixtape


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