Kawhi Leonard : un vrai franchise-player en devenir ?

Le 28 juin 2014 à 09:49 par Clément Hénot

Fraîchement sacré MVP des Finales, Kawhi Leonard (prononcé “Caouaille”, au cas où vous n’en étiez pas encore certains) laisse beaucoup de personnes aussi admiratives qu’intriguées. Ce jeune joueur, autrefois amené à n’être qu’un joueur de complément parmi le Big Three des Spurs, qui raffolent décidément de cet élixir de jouvence, est véritablement en train de se faire une place au soleil chez les red-necks de Fort Alamo malgré son silence quasi perpétuel et sa moue d’enfant triste. Depuis le dernier Game 5, son nom est sur toutes les lèvres et il déchaîne toutes les passions, au point de devenir l’incontournable go-to-guy des Éperons dans quelques années ? Tentative de réponse ici même.

Oui, parce que la force de caractère du gamin est incroyable

Leonard n’a vraiment pas eu une enfance facile, en effet, son père a été assassiné à Compton il y a de cela 6 ans, quasiment jour pour jour, la police n’a jamais pu retrouver le meurtrier, le petit Kawhi n’avait alors que 16 ans. Déjà très timide et peu enclin à livrer de longues tirades en temps normal, ce triste évènement ne lui aura guère facilité les choses. Mais aujourd’hui, comme un cadeau pour son géniteur lors d’un jour qui aurait dû être sa fête, Leonard remporte le titre avec les Spurs et est élu MVP des Finales. Comme un symbole pour ce joueur qui, on le rappelle, n’a que 22 ans (il en aura 23 le 29 juin, demain donc) et n’a probablement pas encore fini de nous impressionner.

Leonard revient également de loin, rien qu’à l’évocation de ces douloureux souvenirs du Game 6 de 2013 qui refont surface. Alors que James vient de ramener son Heat à 2 points à une vingtaine de secondes de la fin, San Antonio prend son ultime temps-mort, confie la gonfle à Caouaille qui est immédiatement envoyé sur la ligne de réparation. Le numéro 2 ne convertira que le deuxième lancer et laissera donc à Miami la possibilité d’arracher une prolongation inespérée. La suite, tout le monde la connait, et nul doute qu’à l’aube de ce remake tant espéré, elle était encore dans de nombreuses têtes, qu’elles soient texanes ou floridiennes.

Mais Kawhi Leonard aura poursuivi son bonhomme de chemin, comme si de rien n’était, il aura pansé ses plaies en silence et dans l’ombre, comme toujours avec les Spurs. Jamais il n’aura semblé perturbé par ce dénouement, au contraire : il n’a fait que s’affûter encore et encore, pour revenir avec le couteau entre les dents, et aujourd’hui être sur le toit du monde de la NBA, tout au moins pour quelques jours encore. Nul doute que papa doit être fier de son fils…

Non, parce qu’il n’est pas assez vocal

S’il est évident que Kawhi Leonard, sosie officiel de Droopy, est une personne très introvertie, qui ne dévoile que peu ses émotions et qui peut même paraître un brin autiste, il n’en est pas moins un joueur de grand talent. Cependant, est-ce qu’une personnalité à ce point en retrait est compatible avec un rôle de leader vocal d’une équipe, ou même avec un rôle de go-to-guy ?

Rien n’est moins sûr, car à l’époque de grandes gueules affirmées comme Kobe Bryant ou LeBron James, n’hésitant pas à dire ce qu’ils pensent dans les médias, ou même en devenir comme Russell Westbrook ou Damian Lillard, qui gesticulent dans tous les sens et font preuve d’une hargne sans limite sur le terrain, Kawhi Leonard fait figure de premier de la classe, toujours avec son air sage sur le parquet, il sait cependant donner une impulsion considérable à son niveau de jeu dans les moments importants, comme aura su le faire Kevin Durant, dans une certaine mesure au fil des ans.

Seulement, sa capacité à mobiliser ses troupes, et à tirer une équipe vers le haut sont encore un énorme point d’interrogation à l’heure ou le joueur semble constamment être dans une carapace imperméable, faisant systématiquement le vide dans sa tête. Mais le Kawhi semble encore un tantinet trop calme, et trop peu enclin à faire le fanfaron pour enflammer les foules et son équipe par son caractère ou ses paroles. Sauf que si on regarde bien en arrière, Tim Duncan était bien le même type de joueur discret au possible avant son poulain, en sachant que le grand Timmy est couronné du succès que l’on sait, encore aujourd’hui, on se dit que Leonard a encore le temps de voir venir, surtout en étant cadré par une tête pensante aussi hargneuse que Gregg Popovich, qui ne semble pas décidé à s’arrêter.

Oui, parce qu’il est bon en tout

Kawhi Leonard est l’archétype du joueur polyvalent qui a tout pour s’imposer comme la pierre angulaire d’un effectif, tout particulièrement de celui des Spurs, qui ne demande qu’à s’enrichir de qualités complémentaires de plusieurs larrons pour au final former une excellente mixture très prisée dans la grande ligue, communément appelée “collectif”. L’ailier de 22 ans est pourtant en train de se défaire de cette étiquette de “3&D” qu’on lui a prématurément collée à la peau dès son arrivée dans la ligue.

Si sa défense n’est plus à prouver au monde du basket-ball, ses prouesses offensives commencent à faire grand bruit de l’autre côté de l’Atlantique, régulier, jouant juste et ne forçant rien, Leonard va au contact, se bat au rebond, et surtout sait allumer des mèches derrière l’arc, l’un des fondements de base de la “Popovich touch”, même si ce dernier n’aime pas en abuser. Pour l’instant, Leonard fait probablement partie de ces joueurs au talent “bridé” ne demandant qu’à pouvoir se libérer totalement en disposant des clés du camion.

Lors du Game 5, c’est bien Kawhi Leonard qui aura sonné la révolte côté Spurs avec ses tirs primés et son agressivité défensive sur LeBron James alors que ses coéquipiers avaient la tête dans le guidon. “Sugar K”, comme le surnomme Shaq, se sera encore une fois mis au service du collectif, tel un Métamorph dans Pokémon, pour aider, puis même porter les siens à la conquête du cinquième titre ramené à Fort Alamo.

Un franchise-player est bien censé tout savoir faire sur un terrain, de scorer (évidemment) à défendre (coucou James Harden) en passant par faire jouer les autres (coucou Carmelo Anthony) et trouver le juste milieu entre introversion et dinguerie (coucou Kevin Durant et Russell Westbrook), et Leonard nous semble armé sur chacun de ces points, même s’il devra continuer son travail de dur labeur pour parvenir à ses fins.

Non, parce qu’il n’est exceptionnel nulle part

Avant toute chose, je vous demanderai de ranger vos grenades, vos lance-roquettes ou vos Metta World Peace en tous genres, car même si ce titre peut choquer les plus sensibles, il ne s’avère pas totalement faux. Si Kawhi est considéré comme un spécialiste de quelque chose, c’est bien en défense, Leonard est d’abord perçu comme un “LeBron stopper” au même titre que Jimmy Butler et Tony Allen, sauf que ces derniers sont bien moins performants que l’homme aux cornrows dans le domaine offensif, ce qui va donc être très utile au numéro 2 des Eperons.

Sauf que si l’ami Caouaille est un spécialiste de la défense, il n’a aucune qualité offensive qui le fait sortir du lot, “bon en tout, parfait en rien”, voilà comment il pourrait être décrit offensivement, il est avant tout un joueur de complément. Il faut tout de même dire qu’il est très difficile de tirer la couverture à lui lorsque l’on joue à San Antonio, ça tombe bien, Leonard n’est pas de ce genre là.

De même, il n’est pas un grand passeur avec pour l’instant 2 offrandes de moyenne en carrière, il devra s’inspirer de joueurs comme LeBron James et Kevin Durant qui ont développé cet aspect de leur jeu au fil des ans dans la ligue, pour au final gagner un titre de MVP de la saison tout en portant leur équipe et en rendant leurs coéquipiers meilleurs. Kawhi Leonard pourra t-il prouver au monde de la balle orange qu’il est capable de se hisser au niveau des deux extraterrestres et ainsi décrocher ce Saint-Graal suprême ? Même s’il n’est pas parfait, il n’a en tout cas pas fini de progresser…

Il peut cependant sembler prématuré de confier les clés d’une franchise à un joueur qui tourne à 11 points de moyenne en carrière, et ce même si ses statistiques et son apport dans le jeu ont à chaque fois augmenté en PlayOffs, preuve que le gamin sait tout donner dans le “crunch time” (pas celui ou on mange des ceréales hein). En attendant, Leonard a encore une bonne quinzaine d’années pour, on l’espère, nous prouver qu’il a les épaules assez larges, pas seulement physiquement, pour garder les Spurs à ce sommet ou ils trônent désormais depuis presque 20 ans.

“Je passe mon tour”, car il évolue chez les Spurs

Quoi de plus difficile que de savoir si un joueur quelconque à la base deviendra un franchise-player ? Ajoutez à cela que le joueur en question évolue aux Spurs, et vous avez là une véritable colle, que même Akinator ne saurait résoudre. En effet, il n’est pour l’instant “que” la quatrième option de l’équipe après l’indéboulonnable Big Three composée des sempiternels Tony Parker, Tim Duncan et Manu Ginobili, ce qui enlève donc beaucoup de pression au “tchô” Leonard qui peut jouer avec plus de décontraction (même si ça ne se verra jamais, comprenez bien…). Toutefois, même si le collectif est la marque de fabrique des Éperons, chaque joueur de ce Big Three est capable de prendre les choses en main dans le crunch-time et de faire gagner son équipe. A Kawhi maintenant de nous montrer qu’il possède également cette corde à son arc.

Toutefois, l’ailier a très fortement tiré son épingle du jeu au cours des deux dernières Finales, même si Popovich aura plusieurs fois déclaré n’avoir appelé aucun système pour son numéro 2, il semblerait que ce dernier s’impose comme la quatrième roue indispensable du carrosse texan. De plus, le technicien semble avoir un don pour former ce type de joueur de l’ombre survenu de “nulle part” pour en faire d’excellents basketteurs dans le futur. Car à la base, beaucoup voyaient Leonard comme un simple défenseur qui peut parfois scorer quelque points, une sorte de Luol Deng en sorte, tout aussi sous côté.

Alors, franchise-player ou pas ? C’est la question que beaucoup de monde va se poser dans ces prochains jours à propos de Kawhi Leonard, qui a encore franchi un palier supplémentaire cette saison, et plus particulièrement durant ces Finales qu’il aura marqué de sa très grosse empreinte. D’abord amené à devenir un Luol Deng bis, le génie qu’est Gregg Popovich saura le façonner encore, ainsi que ses coéquipiers qui semblent l’avoir adoubé pour de bon, la preuve : ils sont tous venus pour le chahuter gaiement dès lors qu’il est annoncé MVP. Kawhi lâchera même un sourire avec le trophée en main, et puis deux, et puis trois… Serait-ce un vrai premier pas vers l’extraversion, et un véritable bris de carapace pour le Californien de naissance ?

source image : FoxSports