Les Spurs de 2014, l’autre Dream Team

Le 16 juin 2014 à 20:28 par Nathan

Sur le papier, elles n’ont presque rien en commun. Les contextes sont complétement différents. Dans le jeu, les deux équipes ne sont pas comparables. L’une est composée de douze légendes ; l’autre en compte trois ou quatre. Pourtant, une chose (et pas des moindres) se retrouve dans chacune d’elles : la capacité, non pas seulement d’atteindre l’excellence, mais de la définir.

La conclusion que tout le monde a sur les lèvres depuis hier soir : les Spurs sont de beaux champions. Ils ont battu le Heat à plate couture, des deux côtés du terrain, techniquement, physiquement et mentalement. Ils n’ont pas seulement été meilleurs, mais ils ont été des champions incontestables, car ils ont pratiqué un basket total, un jeu magnifique presque sans équivalent dans l’histoire de la Ligue. Cette conclusion, il n’y a pas que les observateurs extérieurs qui la prononcent. Manu Ginobili l’a dit, comme Chris Bosh et Tim Duncan ; même Gregg Popovich avouait que son groupe, construit l’année dernière et maturé en 2014, était celui dont il était le plus fier. Pourquoi tant d’éloges de la part d’un homme aux cinq titres, qui en a vu passer des belles équipes ?
Tout simplement parce que le coach Texan a réussi à construire une équipe quasi-parfaite. Mais elle est bien différente de l’idéal que se donne tout basketteur en matière de perfection collective  : la Dream Team 92′. Pour nous tous, la troupe américaine championne olympique en 1992 est, comme son nom l’indique, l’équipe de rêve. Elle rassemblait les meilleurs joueurs du monde, une bande de Hall Of Famers dont chaque membre menait une brillante carrière individuelle. Avant qu’elle ne se compose, tout le monde avait peur : trop individualités, trop d’égos, trop de stars. Mais ça a marché, et la DT 92 nous a marqués par la fantastique alchimie produite entre toutes ces superstars. C’était l’équipe dont tout le monde rêvait, l’équipe qui allait marquer la planète, bien au delà du basket, pour signifier l’excellence en matière de sport collectif.

Mais cette année, on en a trouvé une autre. En tout cas, pour mon humble part, j’ai trouvé ma Dream Team, celle que j’ai vu jouer et celle que j’ai suivie depuis plusieurs années. On pourrait presque dire : la Real Team, la vraie équipe. Car, au contraire de la bande menée par Michael Jordan et Larry Bird en 1992, San Antonio n’est pas une équipe de superstars. Ce n’est pas une équipe de rêve, construite en assemblant les meilleurs joueurs à chaque poste. Ce n’est pas une équipe qu’on ne verra qu’une fois ou dans des occasions très rares : au contraire, les Spurs de 2014, c’est l’équipe parfaite qu’un bon coach peut construire en théorie partout, en insufflant une philosophie et une éthique de travail particulières. Cette année, le Big Three des Spurs n’avait plus beaucoup d’importance. Hier soir, San Antonio menait de 20 points avec un Tony Parker à 0/10. Mais il a été solide avec la balle, toujours en mouvement, jouant pour ses coéquipiers. C’est sans doute la première fois qu’on a pu se demander qui allait être MVP des Finales, car trois ou quatre Spurs pouvaient amplement mériter le trophée Bill Russell. Ce n’est pas une coïncidence : de Manu Ginobili à Patty Mills, de Tim Duncan à Boris Diaw, de Tony Parker à Kawhi Leonard, San Antonio affiche un style de jeu où chaque individualité est, dans la mesure du possible, interchangeable.

C’est comme ça que le basket doit être joué. – LeBron James

“Tout le monde est un meneur de jeu. Chaque joueur est un meneur de jeu”. Voilà ce que disait Gregg Popovich à l’équipe pendant l’entrainement la veille du match 5. Bien sûr, par là il ne veut pas dire que Tim Duncan est obligé de prendre un écran et dribbler vers le cercle comme s’il jouait au poste 1, mais que chaque joueur doit faire ce qu’on demande fondamentalement à celui qui mène la balle : donner le rythme, lâcher la gonfle, insuffler du mouvement et créer du jeu. C’est ce qu’on apprend quand on commence le basket, et c’est aussi malheureusement ce qu’on tend à oublier à l’échelle du star-system. Cela ne veut pas dire que c’est facile à faire. Gregg Popovich est un génie en matière de coaching et de recrutement, comme les têtes pensantes de la franchise texane. Il en faut des heures de boulot pour produire un basket total. Le style des Spurs implique des mois de travail (comme les autres équipes) pour connaître le meilleur moyen de gagner, pour trouver les moyens de prendre le tir le plus efficace : vidéos, statistiques élaborées, coaching personnalisé etc. Mais au fond, on sait tous que San Antonio a construit son succès sur un élément fondamental : l’altruisme. Peu importe si tu as un bon tir, tu dois chercher à trouver un coéquipier qui en a un meilleur que toi. C’est ce principe qui permet à des joueurs, malgré leurs différences respectives, de créer un véritable groupe – ce qui s’exprime bien dans le fait que les Spurs affichent 8 joueurs nés sur un sol non-américain. Finalement, au sein de San Antonio, il n’y a que le jeu qui soude les individus.

TD patty et danny

La Dream Team 92, c’était l’équipe composée de joueurs que tout le monde rêvait d’être. Mais chez les Spurs, il y a très peu de joueurs qui font rêver. Individuellement, ils ne sont pas les meilleurs, loin de là : Patty Mills n’est pas le joueur du siècle, Tony Parker n’a pas son niveau de l’année dernière, Tim Duncan et El Manu sont superbes mais vieux, Boris Diaw a eu un parcours sinueux après son titre de MIP, Danny Green a failli ne jamais entrer dans la Grande Ligue… Non pas que ces joueurs ne soient pas forts, loin de là : ils l’ont prouvé hier soir. Mais, si on les sépare, il faut avouer qu’ils ne valent pas mieux que d’autres. Par contre, mis ensembles, ils forment une équipe de rêve. Car ça devrait sans doute être ça, la définition d’une Dream Team : non pas une équipe composée des meilleurs, mais un ensemble de joueurs qui deviennent meilleurs quand ils forment une équipe, une vraie. Changez un ou deux éléments importants de l’équipe américaine en 1992, vous verrez que l’ensemble ne sera plus le même – à tel point que malgré un roster de malade mental en 1994, on s’est senti obligé d’appeler l’équipe des USA la “Dream-Team II“. Par contre, enlevez Danny Green, Boris Diaw ou Patty Mills de l’équipe championne NBA 2014, et remplacez-les par d’autres (Gary Neal nous en donne un exemple, lui qui jouait un rôle important l’année dernière). Comment vous appelleriez cette nouvelle équipe ? Tout simplement : les San Antonio Spurs.

Ne tombons pas dans l’excès. Évidemment que dans la troupe de Gregg Popovich, tous les joueurs n’ont pas la même importance. Sans Duncan, San Antonio perd son âme. Mais sur le terrain, la hiérarchie – qui ne peut être qu’entre individus – disparaît au profit de quelque chose de plus grand. Là où le collectif transcende les individualités, où le groupe lui-même ne fait plus qu’un individu dont chaque membre est une partie indivisible du tout. Dire que les Champions NBA 2014 sont une équipe de rêve, c’est simplement dire que c’est le basket tel qu’on l’aime et tel qu’on rêve tous de le jouer qui a gagné. Une autre définition de ce qu’est une Dream Team, et c’est sans doute la meilleure.

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