Contact, bar fight et trash-talking : Roy Hibbert, un pivot à l’ancienne ?

Le 22 mars 2014 à 17:17 par Nathan

Ses stats ne sont pas les plus impressionnantes. Sa mobilité n’est pas celle d’un Dwight Howard. Son sens de la passe n’est pas comparable à celle d’un Joakim Noah. Il ne vous sortira pas des double-doubles comme peut le faire un Nikola Pekovic ou un DeAndre Jordan. Pourtant, Roy Hibbert (27 ans), le pivot des Pacers, demeure suspendu aux lèvres de la plupart des observateurs comme celui qui renoue avec la tradition des pivots à l’ancienne – ces centers au jeu dur, au physique massif et au comportement pétri de trashtalking.

Pourtant, cette affirmation semble plutôt de l’ordre du sentiment : à voir jouer Roy Hibbert avec ses Pacers, alors oui en effet il a l’air de réinvestir le jeu qu’on pouvait trouver chez les pivots des années 80 et 90. Or, comme on l’a dit, les statistiques de l’ancien pensionnaire de Georgetown sont loin d’être dans les standards des principaux pivots de la ligue : 11 points, 7 rebonds et 2 contres en moyenne cette saison ; ce n’est donc ni un gros rebondeur, ni un scoreur. Là vous vous dites : “il rigole lui, ce sont de très bonnes stats quand même ! ” – et vous avez raison de vous le dire, car on reviendra sur l’apport statistique d’un pivot comme Roy Hibbert. En tout cas, avant de se demander si le bûcheron des Pacers renoue avec la tradition des centers comme on en fait plus, il faut d’abord se demander ce que c’est, précisément, un pivot “à l’ancienne”. Essayons de décrire les propriétés d’un tel pivot, et comparons-les avec le jeu de Roy Hibbert. On verra sans doute des ressemblances, certaines frappantes, d’autres moins.

Déjà, jouer pivot dans les règles de l’art, c’est se positionner sous le cercle. Pas (ou très peu) de jeu tête de raquette pour étirer la défense en étant quelques secondes un point center (à l’image typiquement d’un Joakim Noah). Le pivot a les pieds plantés dans le béton quand il s’agit de prendre sa position poste bas. Son terrain de jeu, c’est la peinture et, le cas échéant, le périmètre autour d’elle. De cette première caractéristique – la plus simple, puisqu’elle repose sur les principes du basket – nous verrons découler toutes les autres.

Chris Bosh Roy Hibbert

En effet, c’est pourquoi (en théorie) le pivot doit être grand. Roy Hibbert mesure 2 mètres 18. Le pivot doit être massif. Roy Hibbert pèse 138 kilos. Jouer sous le cercle nécessite de se faire de la place. Mieux vaut alors avoir un popotin qui dépote. Jouer intelligemment de son physique : c’est, peut-être avec le meneur (qui doit aussi user de ses qualités de vitesse et de vivacité), la grande particularité du poste de pivot. Mais les qualités physiques ne font pas tout (demandez à Greg Ostertag, tiens) : passons aux qualités plus “basketballistiques”. Car le pivot, dans l’idéal, n’est pas qu’un bûcheron : il sait jouer au basket dans un rôle bien défini.

Commençons par le côté offensif. De sa position sur le terrain découle une première qualité que doit avoir un pivot : le jeu dos au panier. Au contraire d’un Dwight Howard notamment (qui a beaucoup été critiqué sur la pauvreté de son jeu offensif), le vrai pivot doit développer un répertoire offensif poste-bas complet qu’il doit coupler avec ses qualités physiques. Hook-shots, fadeways, feintes en tout genre : l’arsenal du pivot doit être fourni. La preuve ? Des grands pivots comme Hakeem Olajuwon, physiquement impressionnants mais surtout dotés d’une subtilité redoutable en attaque. Là encore, Roy Hibbert passe le test car si ses stats ne l’expriment pas forcément, son jeu offensif n’en reste pas moins de très bonne facture. Son petit hook (main droite ou main gauche) fait souvent mouche et il a développé un shoot convenable en plus d’une bonne réussite aux lancer-francs (47% et 73% sur la ligne en carrière). Dans ce contexte, on peut considérer que les Pacers sous-estiment la valeur offensive de l’ancien joueur des Hoyas. Assez peu utilisé dans les séquences offensives, Hibbert n’en reste pas moins efficace et devra sortir de grosses performances en attaque pour qu’Indiana espère viser haut cette année. Quand même : un pivot de 2m18 et 140 kgs qui sait shooter dans le périmètre et sur la ligne des lancers, il faut l’utiliser. Mais c’est que coach Frank Vogel utilise son poste 5 dans un rôle spécifique. Vous la connaissez, cette qualité qui fait de vous un gros pivot des familles, celui qui fait peur aux adversaires et qui vous fait gagner des titres. Vous l’avez devinée : on parle ici de défense.

Car oui, si on parle de “pivot” c’est principalement comme un synonyme de “tour de contrôle”. Le pivot, puisqu’il est le plus grand et le plus costaud, constitue le gardien du cercle de l’équipe, le rim-protector comme disent nos amis États-uniens. L’attaquant adverse a passé son défenseur et s’apprête à pénétrer vers le cercle ? Le pivot entre en scène. Après un pick-&-roll, l’ailier-fort adverse se retrouve tout seul à 4 mètres ? Le pivot doit s’en charger. Ne multiplions pas les exemples, car ils sont nombreux : sur chaque variation de ces situations, le pivot doit apporter une aide défensive. Jouer center, c’est être le patron de la défense. De ce point de vue, Roy Hibbert est un phénomène. En carrière, le pivot tourne à 2 contres par match. Il a contré 11 tirs le 21 novembre 2012 face aux Hornets et menait la ligue au shot-blocking à cette époque. Mais évidemment, être le patron de la défense ne se résume pas aux stats, bien au contraire. La tour de contrôle des Pacers est un vrai dur. Il aime prendre des contacts et donner de sa personne pour empêcher l’attaquant adverse de marquer.

D’ailleurs, le pivot des Pacers a développé une technique défensive que l’on appelle précisément la défense “à la Hibbert”. Elle consiste à rester mobile pour éviter les 3 secondes dans la raquette, à ne pas se jeter pour éviter de faire la faute. Amateur de la prise de contact, le but est alors moins de blocker que de gêner au maximum l’attaquant adverse. Plus qu’un contreur, Roy Hibbert renoue avec l’innovation qu’a apporté le grand Bill Russell :

L’idée n’est pas de contrer tous les tirs, mais de faire croire à votre adversaire que vous pouvez tous les contrer. – Bill Russell

Cette défense à la verticale où il reste très haut dans les airs témoigne de cette qualité dissuasive propre à Roy Hibbert. Le patron de la défense, c’est aussi faire naître l’idée suivante à l’adversaire : “Si j’arrive à passer la première ligne et à rentrer dans la raquette, je n’aurais fait que le plus facile”.  Que cela soit Dwyane Wade, Kevin Durant, Al Jefferson ou Damian Lillard,  le but est le même : ne pas refuser le contact et faire naître le doute dans la tête de l’attaquant avant même qu’il pénètre dans la peinture.

Roy Hibbert vs. Dwyane Wade

Cela implique, on voit pourquoi, qu’un pivot comme Roy Hibbert soit aussi un travailleur de l’ombre. Combien de shoots difficiles pris face à lui ? Combien de possessions cruciales remportées grâce à son activité ? Elles sont innombrables. Mais ce n’est pas tout : un joueur dans sa situation doit développer un esprit d’équipe et une communication supérieurs à la moyenne. Toujours la bouche ouverte, le pivot (de par sa situation spatiale sur le terrain) doit constamment veiller à communiquer avec ses coéquipiers. Être le patron de la défense nécessite de développer une excellente vision du jeu en la matière, et en faire profiter à ses coéquipiers. On comprend pourquoi, ici, le trash-talking (que l’intéressé affectionne) n’est qu’un effet logique de l’équation dureté défensive + gueule grande ouverte pendant 35 minutes. En effet, jouer comme un pivot à l’ancienne implique de renoncer à tout ce qui se rapporte au flashy. Pas de strass, pas de paillettes ; pas besoin de grigris, pas besoin de mouvements élégants pour mettre cette balle dans le panier. L’intensité et la dureté sont rarement conciliables avec le showtime : ici, c’est trash-talk et bar fight  à l’honneur.

De ce point de vue, le pivot, personnifié par Roy Hibbert, est la pierre angulaire de l’équipe, sportivement mais aussi symboliquement. Qu’Indiana soit une équipe rugueuse et irritante, quoi d’étonnant. Les Pacers, équipe collective au possible, une des meilleures défenses de la Grande Ligue, expriment idéalement leur identité chez un joueur comme Hibbert. Tout comme les grandes défenses des années 90, les Pacers aiment la dureté, l’intensité et les coups de coudes en dernière instance. Roy Hibbert (avec David West aussi…) gagne son pain grâce à ça. Mais c’est sans doute ce qui permettra de relativiser un peu tout ce que l’on a dit. En effet, s’il semble bien que Roy Hibbert renoue avec l’art de jouer pivot, pour autant cela ne s’est pas fait tout seul. Drafté en 2008 à la 17ème position par Indiana, le numéro 55 n’a pas connu un début de carrière facile. Trop lent, manquant de volume en attaque et d’impact en défense, le futur All-Star ne cessait de décevoir les espoirs placés en lui. Il a fallu lui apprendre à utiliser son corps pour en faire un atout et non un fardeau.

Surtout, le style de Roy Hibbert ne prend sens que si l’on connaît le processus de reconstruction entamé par Larry Bird après la débâcle du “Malice in the Palace. L’idée était de construire une équipe où la défense joue une place prépondérante, où chaque joueur a son rôle précis et fait corps avec un collectif en dehors duquel il ne vaut rien. David West, Roy Hibbert, Paul George, George Hill, Ian Mahinmi, Lance Stephenson : que des joueurs qui développent chacun une dureté défensive (mais aussi offensive) analogue pour créer un collectif dense et soudé.

Donc, si Roy Hibbert est sans conteste l’un des pivots les plus purs en la matière, s’il est le poste 5 “à l’ancienne”, c’est sans doute parce que les Pacers ont constitué une équipe très old-school dans son genre. Au sein d’Indiana, Roy Hibbert est peut-être celui qui résume le mieux l’identité collective et la trajectoire voulue par Bird et Frank Vogel : il n’en reste pas moins qu’un élément, certes décisif, mais un élément tout de même. Finalement, la question serait plutôt : “Indiana  Pacers : une équipe à l’ancienne ?”.

Sources images : bloguin.com, CBS Sports


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