Derrick Rose : comment aborder son retour ?

Le 04 févr. 2013 à 19:30 par Bastien Fontanieu

Jeudi 21 Février, minuit sur l’hexagone. La température stagne autour du congélateur du côté de chez nous, mais à Chicago les pulls en laine sont tombés. Depuis la première élection de Barrack Obama en cette nuit du 4 Novembre 2008, la capitale de l’Illinois n’avait pas connu telle excitation. Son sauveur est de retour, la Rose emblématique de la ville a retrouvé toutes ses pétales : Derrick-is-back.

Miami est en visite et l’histoire nous a donné rendez-vous. LeBron James, encore une fois exceptionnel au All Star Game de Houston, doit envoyer un message aux taureaux. Son équipe n’a pas remporté le moindre match face aux poids lourds de la Conférence Est et Chicago pense vraiment pouvoir faire trembler la Floride au printemps, de quoi nourrir sa soif de succès et sortir son triple bandeau anti-calvitie. Joakim s’est amusé comme un enfant au match des étoiles, Carlos Boozer est prêt à en découdre avec Chris Bosh, et Dwyane Wade est de retour au pays. Dans tout ce marasme se cache cependant un individu, seul, transcendant les foules qui s’amassent soirs après soirs au United Center, rêvant qu’un être humain suffisamment talentueux possède les épaules assez larges pour prendre la succession de Michael Jordan dans la ville du vent. Derrick Rose a le caleçon qui déborde. Depuis près d’un an, il rêve de ce soir où il retournerait devant son public, prêt à justifier son titre de MVP en 2011. Et le trac, quand on est une star et qu’on fait son grand retour en antenne nationale, fait inexorablement partie de la panoplie. Comment les Bulls vont-ils jouer ? Comment Chicago va pouvoir continuer à dominer en changeant de style de jeu ? Les genoux du phénomène tiendront-ils ? Telles sont les questions qui entourent la franchise et auxquelles nous tenterons de répondre.

 

D’un point de vue strictement physique, la possibilité que Derrick Rose revienne aussi explosif qu’auparavant est limitée. En effet, hormis certains joueurs qui ont réussi un retour plus ou moins exceptionnel suite à ce type de blessure (Baron Davis, Tony Allen, Jamal Crawford), la plupart des arrières qui ont connu une rupture des ligaments croisés antérieurs ont vu leur carrière complètement changer. Et on parle ici de joueurs qui ne possédaient pas un tiers des capacités athlétiques du natif de Chicago : Rose base la majeure partie de son jeu sur des changements de direction et des appuis venus d’une autre planète. Devra-t-il adapter son jeu à son nouveau corps ? Il pourrait se pencher sur le cas de Tim Hardaway pour ce faire. Le roi original du cross-over se pétait le genou à la fin de sa 4ème saison, mettant une croix définitive sur l’épisode 1993-1994. A son retour, les questions étaient les mêmes que celles que Derrick aborde aujourd’hui. Du coup, Tim a changé son jeu, adapté sa production, et de ce fait gardé un niveau égal aux attentes qui étaient placées sur lui : moins de pénétrations ? Plus de tirs à longue-distance. Des dribbles moins fluides ? Une précision dans la lecture de ses défenseurs qui lui permettait de figer ces derniers comme auparavant. Hardaway devenait ainsi l’un des premiers vrais rescapés de l’enfer LCA, et ce il y a vingt ans. Depuis, les techniques de rééducation ont changé et Rose a droit à ce qui se fait de mieux en terme de suivi médical. On peut cependant se permettre d’avancer quelques doutes concernant un possible retour au niveau MVP aperçu en 2011. Aura-t-il cette patience et cette maturité ?

L’argument de la rééducation physique développé, qu’en est-il de l’aspect psychologique ? En effet, de nombreux sportifs victimes de cette blessure tiennent souvent à rappeler que la partie la plus sous-estimée de la rééducation concerne l’approche mentale de l’avenir. Avoir la confiance ultime en soi, ne pas avoir de craintes, pour reproduire à la perfection chaque geste du passé, sans avoir les souvenirs resurgir de ce silence pesant dans l’United Center, Rose allongé au sol, les deux mains collées sur son front, le visage marqué par la douleur. Ces images ont nourri son moteur pour revenir plus fort que jamais depuis Mai 2012, hantant certaines de ses nuits sous le ciel nuageux de la Windy City : disparaitront-elles pour son bien ? La pression est également un facteur important. Derrick, sorte de surprenant mélange entre assurance et humilité, l’amour de la grande scène et le besoin d’ombre, sera assurément visé par toutes les caméras de la Ligue. Chaque fan, adversaire, coéquipier, membre proche, coach, arbitre sera conscient que son retour est attendu. Une pression ahurissante que peu de gens peut assumer et que le petit génie de l’Illinois devra gérer au mieux, pour se concentrer uniquement sur la performance sportive. En sera-t-il capable ?

Concernant la dynamique des Bulls, plusieurs questions se dressent mais ne devraient pas prendre autant de places que celles précédemment avancées. Menée de main de maître par Tom Thibodeau, la troupe des taureaux est constamment surveillée par un coach perfectionniste et un staff médical au top. Nombreux sont les fans qui se souviennent de ce premier match de PlayOffs face aux Sixers où les visiteurs étaient largement menés en fin de match, Thibodeau préférant laisser son meneur sur le parquet afin d’envoyer un message clair et net à ses adversaires pour la suite de la série. La suite, tout le monde s’en souviendra. Fortement critiqué pour avoir trop utilisé un Rose à peine de retour, le coach de Chicago recevra un déluge de menaces suite à la blessure du All Star, mais obtiendra cependant le soutien de nombreux joueurs et entraîneurs qui comprenaient alors les intentions de l’homme. Aujourd’hui, Thibs est attendu au tournant lui aussi, et il le sait. Les minutes seront donc surveillées, les rotations modifiées, afin de mettre D-Rose dans les meilleures conditions possibles. Un impact sur la bonne marche des Bulls ? Pas forcément. Au fur et à mesure, l’égérie d’Adidas devrait retrouver le 5 de départ, à la plus grande joie de ses fans. Mais sa simple présence aura du coup un impact sur ses coéquipiers. En effet, en son absence les Bulls ont su continuer à dominer dans leur conférence grâce à un excellent partage des munitions et le sérieux apporté par les forces majeures du groupe : Luol Deng, Carlos Boozer et Joakim Noah réalisent tous des campagnes de All Stars, et se régalent d’avoir autant d’importance dans la bonne marche de l’équipe. Le retour de Derrick aura du coup un impact évident sur cette belle dynamique, lui qui reprendra bien évidemment des systèmes que le gentil Kirk Hinrich ne peut pas obtenir en isolation. Moins de tirs pour Boozer, qui fait enfin ce que Chicago espérait de lui depuis l’été 2010, plus de boulot pour Joakim en pick-and-roll, lui qui avait quelques munitions au poste jusqu’aujourd’hui : ces joueurs seront-ils assez disciplinés et patients pour accepter ce changement de rôle ? Qu’en sera-t-il des Taj Gibson, Jimmy Butler et autres Marco Belinelli qui font leur boulot notamment grâce à un temps de jeu augmenté ?

Plus les jours passent et plus les fans s’impatientent. Derrick Rose est probablement un des athlètes les plus attendus cette saison tout sport confondu, et il le sait. Son corps et sa tête seront-ils capables de supporter une telle pression ? La beauté de son jeu et de son approche collective nous force à prier pour le meilleur, mais on préfère rester conscient qu’après une telle blessure, son style de jeu et son niveau devrait être revu à la baisse. Et puis, après tout, personne ne pouvait dire il y a quelques saisons qu’il deviendrait MVP de la Ligue à 22 ans, alors ce challenge n’en est qu’un autre sur la route du numéro 1 des Bulls.


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